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  • Photo du rédacteurPauline Clément

INTERVIEW : DÉVELOPPER UN MEDIA WEB SENIOR PENDANT LA CRISE DE LA PRESSE ?

Dernière mise à jour : 31 mars 2019


Laurence Le Dren, journaliste web, est à la tête de la rédaction NotreTemps.com depuis 4 ans. Forte de son expérience, elle nous parle aujourd'hui des projets innovants qu'elle mène pour développer ce site web senior. Rencontre.


Laurence Le Dren, journaliste, cheffe de service NotreTemps.com

Laurence a préféré ne pas être filmée ni photographiée. Elle me reçoit un vendredi matin, dans la salle des conférences de rédaction, quelques jours après que NotreTemps.com ait lancé la version "responsive"* de sa newsletter.


PC : Bonjour Laurence.


LLD : Bonjour Pauline.


PC : Tout d'abord, est-ce que vous avez déjà travaillé pour la presse papier avant la presse web ?


LLD : J'ai toujours travaillé du côté web, mais j'ai aussi écrit pour le print. D'ailleurs ça m'arrive encore, puisque j'ai un article par mois pour le cahier 3 de Notre Temps. Mais j'ai toujours prioritairement écrit pour le Web.


PC : Qu'est-ce qui vous a amenée vers ce type de journalisme en particulier ?


LLD : C'est arrivé parce que je n'ai pas toujours été journaliste : j'ai fait le choix de faire ce métier dans une deuxième partie de ma carrière. Et à ce moment là, j'ai jugé que c'était très important de maîtriser cet aspect web, puisque c'est quand même une dimension qui représente l'avenir du journalisme. Donc ça me paraissait important, en rentrant dans ce métier, de commencer par ça.


PC : Quelles sont vos thématiques de prédilection ? Celles qui vous ont amenée qui à passer du "côté journaliste" ?


LLD : Mes études et mon parcours professionnel ont fait que j'ai toujours aimé l'économie de façon générale, et tout ce qui concerne le décryptage. Et puis troisième point, j'avais déjà travaillé Notre Temps dans un autre métier. J'affectionnais ce public et je savais que les sujets juridiques, financiers, et tout ce qui concerne l'environnement de la retraite et des placements, répondaient à un grand besoin de ce public. Et puis cela correspondait aussi à mes goûts, voilà pourquoi finalement je suis arrivée là.


PC : Vous venez de le dire, ce métier est pour vous une deuxième carrière. Alors, comment vous êtes-vous formée au Web et son évolution rapide ?


LLD : J'ai fait une formation : j'ai repris des études pour maîtriser non seulement les techniques de journalisme, mais aussi le journalisme pour le Web. J'ai fait des stages, comme toi Pauline *rire*, et puis c'est grâce à mon parcours. Je pense que c'est d'abord par la pratique qu'on apprend des choses. Premièrement parce que c'est différent selon les rédactions. Il y a des outils qui sont différents, même s'il y a évidemment des grandes lignes: tout ce qui concerne la façon d'écrire, la façon d'éditer... Mais il y a quand même des différences importantes selon les media, même media Web. Donc je crois que c'est l'expérience qui fait que l'on apprend à faire son métier.


PC : Dans quels media Web êtes-vous passée au préalable ?


LLD : J'ai fait un stage dans une agence qui proposait des informations à caractère social, qui travaillait beaucoup sur les sujets comme la formation, le travail... Elle faisait des dépêches à destination des ministères ou des organismes publics. Et puis aussi j'ai travaillé à La Croix.com.


PC : Les seniors, on l'a dit, sont un lectorat aux besoins particuliers. Qu'est ce qu'attend un public comme celui de NotreTemps.com ?


LLD : En fait, paradoxalement, je pense qu'il ne faut pas oublier qu'en s'adressant à un public senior, on s'adresse à tout le monde. C'est un public tellement large qu'on y trouve moitié d'hommes et de femmes, qu'on y trouve toutes des tranches sociales de la population... Donc ça serait une erreur de se dire qu'on ne s'adresse qu'à des gens en fonction de leur âge. Il ne faut jamais oublier qu'on s'adresse à un très large public, ça me paraît être un point très important. Le second point c'est que ce sont des personnes qui sont à un tournant de leur vie, ou qui s'apprêtent à négocier ce tournant. Donc il y a des choses qui les préoccupent par rapport à leur famille, par rapport à leur santé, par rapport à leur future retraite... Tout ça, évidemment, est un grand chamboulement dans la vie. Il faut aussi garder en tête ce point.


PC : Comment arrive-t-on à relancer un média comme celui de Notre Temps, avec un public cible aussi large?


LLD : C'est toute la question. Toute la difficulté est de savoir comment on fait quand on a un journal créé en 1968, qui a connu un succès vraiment très impressionnant; au point d'atteindre plus de cinq millions de lecteurs et de dépasser un million d'acheteurs chaque mois. Effectivement la société a évolué : en prenant sa retraite, on a 25 ans devant soi et non plus quelques années. Alors comment est ce qu'on fait pour évoluer ? Je dirais d'abord que l'on crée un site internet et on essaye de le faire grandir, pour s'inscrire dans la modernité des media. C'est ce qu'on essaye de faire actuellement. Et puis il y a tout un défi qui est de suivre les tendances de la société, mais peut-être à un rythme différent. Non pas parce que les seniors apprennent moins vite que les autres, mais parce qu'à Notre Temps on s'adresse à ce large public, et que chacun a son rythme à l'intérieur.


PC : Pourtant les seniors sont une génération qui acceptent encore de payer pour l'information papier. Qu'est-ce que le site NotreTemps.com peut leur apporter de plus ?


LLD : Ce sont plusieurs générations, ça c'est très important. On s'adresse à des gens qui sont encore actifs, qui ont la cinquantaine et un peu plus. On s'adresse ensuite à des gens qui sont à la retraite mais qui sont très actifs. Et enfin, presque une troisième génération de personnes, qui vont moins voyager, qui vont moins faire de projets ou en tout cas des projets plus à hauteur de villes, de quartiers ou de familles. C'est toujours important de bien se dire que ce public n'est pas n'est pas un, il est multiple, d'où la difficulté. Mais le site web est évidemment un élément de modernité : c'est une façon d'aller chercher les gens. Maintenant on ne peut pas imaginer qu'un média se fasse connaître sans passer par Internet; c'est impossible depuis déjà 10 ans. Donc on n'a pas le choix : on est bien entendu sur Internet, la question ne se pose même pas. On a besoin de faire connaître notre marque et d'informer les gens aussi par ce biais. C'est également un moyen de faire connaître le magazine, et de vendre des abonnements bien sûr.


PC : Est-ce qu'il y a une différence d'écriture, ou de sujets, entre le magazine Notre Temps papier et son site web?


LLD : Ce n'est pas différent puisqu'il y a une partie des articles du site qui viennent du print; par nature, ça ne peut pas être différent. En revanche, du fait de la réactivité sur le Web, on peut écrire chaque jour si on le souhaite. Il y a plutôt une manière de traiter l'actualité qui est différente. Sur le site, on peut se permettre de détailler une information qui va être d'actualité pendant quelques jours. Alors qu'un magazine mensuel qui boucle avec presque un mois et demi d'avance, va peut-être traiter cette actualité là en 500 signes, sous forme de brèves, parce que les choses peuvent évoluer beaucoup entre le moment où l'article est fini et la parution. Donc sur le site, on a un spectre plus large dans les sujets que l'on peut choisir. Et puis on peut aussi se permettre de faire des sujets beaucoup plus légers, qu'on ne ferait pas sur le print. On peut faire un article sur des chansons pour faire venir la pluie *rire*. La technique nous permet aussi d'illustrer des articles à base de vidéos : quand il y a des sujets cinéma, ou un sujet sur une personne connue qui vient de décéder, on peut faire des articles à base de vidéos. Tout ça nous donne une façon d'écrire qui n'est pas celle du print.


PC : Et au delà de la façon d'écrire, est-ce que le site s'adresse globalement à la tranche plus jeune des seniors ?


LLD : C'est un objectif de s'adresser aux tranches les plus jeunes. Mais en même temps, c'est un objectif qui existe depuis longtemps. J'ai l'impression de l'avoir toujours entendu. Je connais Notre Temps depuis plus de 20 ans, et j'ai toujours entendu : "Il faut s'adresser aux plus jeunes sans perdre les autres". Donc on est dans la quadrature du cercle : aller chercher des gens plus jeunes, comme beaucoup de nos confrères de la presse d'ailleurs, sans perdre ses lecteurs qui nous apprécient et qui sont si fidèles.


PC : Dans l'évolution du site, l'audience est en hausse particulièrement depuis l'année 2017. Sans rentrer dans des techniques confidentielles, quels ont été les axes de progression sur lesquels votre équipe a travaillé ?


LLD : Pendant la dernière année, on a travaillé sur une nouvelle version du site. Il est aujourd'hui plus agréable à lire : il a un style plus d'actualité, plus épuré, alors qu'on souffrait d'une maquette qui nous ramenait à il y a dix ans. Point technique important aussi, c'est l'aspect *responsive, avec la possibilité d'être lu sur tous les supports. On sait maintenant que nos lecteurs nous lisent beaucoup sur smartphone, ce qui n'était pas le cas il y a deux ans voire 18 mois. C'est maintenant que c'est en train de se passer : être adapté à tous les supports est vraiment capital. Je pense que cela va contribuer à l'amélioration du trafic sur le site.


PC : Et avec quels autres corps de métier avez-vous interragi pour que tout ça soit mis en place ?


LLD : De toute façon quand on est journaliste Web, on ne peut rien faire sans les collègues de la technique. Un journaliste papier ne peut rien faire sans un imprimeur, mais il n'y pense peut-être pas tous les jours. Alors que nous, c'est vraiment notre quotidien. Un site Internet est fait de trois choses : du rédactionnel, de la technique, et je rajouterais même du marketing. Par exemple, un journal ne peut pas être vendu en kiosque s'il n'a pas été transporté par La Poste. De même, un site, même s'il contient les meilleurs articles du monde, n'atteindra pas son public s'il n'a pas les qualités techniques et qu'il n'est pas porté par des personnes du marketing. Ce sont elles qui vont aller chercher des adresses et les gérer, pour que quatre fois par semaine, les lecteurs reçoivent notre newsletter dans leur boîte mail. Donc ce travail à trois mains est vraiment quelque chose de fondamental quand on est journaliste Web. On ne peut pas agir seul.


PC : Dans le cadre de la crise de la presse, et de la défiance des media notamment, est-ce que Notre Temps a été impacté ? Et si oui, quelles sont les perspectives pour faire face à cette période ?


LLD : Je crois qu'on a une chance à Notre Temps, c'est que nos lecteurs ont une confiance vraiment très importante dans le journal. À un point qui nous surprend parfois, et qui nous fait plaisir. Ils sont capables de nous confier leurs problèmes familiaux, leurs problèmes personnels, leurs problèmes d'argent... Il y a vraiment une relation de confiance très particulière, comme à La Croix d'ailleurs. Donc on ressent moins dans notre relation avec nos propres lecteurs, la montée de cette défiance vis-à-vis des journalistes. Elle existe néanmoins : on a eu des articles sur les "fakes news" il y a quelques temps, mais c'est vrai que ce n'est pas forcément quelque chose qui a été traité de multiples fois par Notre Temps.


PC : Est-ce qu'aujoud'hui vous percevez d'autres enjeux, des enjeux nouveaux, qui feront l'avenir du site ?


LLD : Oui, il y a des enjeux économiques et des enjeux rédactionnels. L'enjeux économique est de consolider l'équilibre qu'on vient à peine d'atteindre, en trouvant un modèle qui permette de développer le chiffre d'affaires. Le choix a été fait, pendant notre croissance et pour les temps à venir, d'adopter un modèle gratuit pour les articles du site. Rien ne dit qu'il en sera ainsi pour les prochaines années. Il y a vraiment cette difficulté de trouver suffisamment de chiffre d'affaires : chiffre d'affaires publicitaire, chiffre d'affaires dans différentes actions menées avec des partenaires... pour pouvoir continuer, tout simplement. On ne peut pas se permettre d'être en déficit : aujourd'hui, dans la presse, il y a trop de difficultés économiques. Le chiffre d'affaires baisse tendanciellement pour bien des media, pour Bayard comme pour d'autres groupes de presse. Et l'enjeu rédactionnel c'est d'aller chercher des gens de 50 ans, encore actifs, qui se posent tout un tas de questions sur leur vie professionnelle, familiale ; et sur un certain nombre de tournants dans leur vie : les enfants qui s'en vont, des projets pour s'installer à un endroit ou à un autre... Est-ce que c'est sur Notre Temps qu'ils vont venir chercher des conseils, alors que c'est peut-être le journal de leurs parents ? C'est notre défi.

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